Un matin ordinaire (divagations)

Ouais sans blagues, ouais, et ça c'est le forum à Chimel ouais, C'EST QUOI MON NOM?

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Aikau le bo
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Re: Un matin ordinaire (divagations)

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Episode 16

Les hommes escaladèrent les rochers récemment détachés et se retrouvèrent dans la plaine. A ce moment-là, plusieurs compagnons de John tombèrent, désarticulés, comme mort sur place (ha !) en regagnant la surface de la terre et en quittant le secret de ses artères cachées. Seuls John, Finch et deux autres soldats, dont celui à la mâchoire manquante, restèrent debout et continuèrent leur route. Le caporal Dunda n’accorda pas un regard aux condisciples au sol. Ils étaient morts, et John en avait vu d’autres, tellement d’autres… Écrabouillés, déchiquetés, enterrés, fusillés, noyés, pendus, coupés, vidés, asphyxiés, brûlés, éventrés, étripés, transpercés, brisés, broyés… tous, ils étaient tous morts, de mille façons mais pour une seule conclusion : la mort. Sauf que la mort semblait moins définitive ces jours-ci. Ultime cruauté : on pouvait mourir plusieurs fois.

Ils marchèrent longtemps, dans un silence régulièrement souillé par la machine volante qui les survolait comme un insecte nuisible. Le caporal divaguait, s’échappait de son corps qui continuait d’avancer. Ils n’y avait plus que lui et Fich, maintenant, les deux autres étaient… mort ? Plus là, en tout cas. Ils marchèrent des heures et ne croisèrent pas âme qui vive. Dunda connu un instant d’angoisse en se demandant si lui aussi était mort et déambulait dans une plaine éternelle, infinie, un purgatoire pour les soldats, pour ceux dont la mort était vaine, dénuée de sens, punis par Dieu pour avoir participé à cette boucherie. L’insecte de métal passa très près et tira John de sa rêverie. Ils approchaient du camp. Alors, Finch s’immobilisa et le caporal cru qu’il allait s’effondrer, lui aussi. Mais non. Il se tourna vers John et lui dit :

- « C’est ici que nos chemins se séparent, chef. J’rentre pas avec vous.
- Que, quoi ? Mais… tu, tu vas où ?
- Une longue route m’attend. Un océan de possibilités. Quelques dettes à honorer. D’autres à réclamer. J’ai le temps maintenant, hahaha ! »
Et John vit un gouffre noir dans sa gorge, un puits sans fond d’obscurité.
- « Mais vous inquiétez pas, chef. J’vais m’occuper de ce clown au-dessus de nous. Vous pourrez sûrement récupérer quelque chose d’intéressant pour les gradés, vous savez comment ils sont… »

Au moment où l’ornithoptère refaisait un passage en trombe, Finch leva le bras et lui fit décrire un rapide arc de cercle vers le sol. L’engin, passant à pleine vitesse au-dessus d’eux, suivi exactement la même trajectoire et se fracassa contre la terre gorgée de sang de la plaine dans un épouvantable son de métal déchiré. John perdit l’équilibre, dérapa et se retrouva à genoux. Finch n’avait pas tressailli. Ils restèrent de longues minutes sans bouger à regarder ce qui était un instant plus tôt un engin volant d’une rare ingéniosité. La machine fumait, l’hélice arrière tournant encore au ralenti, mais n’était plus qu’un amas de fer au milieu duquel était prisonnier un corps humain apparemment encore en vie si on se fiait aux gargouillis non-mécaniques. Et puis, finalement, Finch s’avança et se mit à fouiller, à tirer sur le métal tordu, dépeçant de manière quelque peu obscène le cadavre de l’insecte de fer et celui encore absurdement vivant du pilote. John entendit des supplications soufflées, murmurées par un corps mutilé, aussi légères que la respiration d’un ange, aussi grinçantes que le rire d’un démon. Il suppliait. Pourquoi ? John ne savait pas. Pour… quoi ? John ne savait pas non plus.
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Aikau le bo
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Episode 17

Finch, désormais vêtu avec l’habit civil du pilote, revint vers son caporal et lui tendit une besace.

- « Tenez, chef. Ça pourra vous servir pour le rapport. Y a quelques lettres, des plans de trucs, une carte de bibliothèque drôlement éloignée d’ici et, intéressant, une correspondance entre lui et le professeur qu’on a vu avant et qui dit qu’il doit venir dans le coin pour mener l’expérience sur le terrain. Vachement intéressant pour les gradés, j’en suis sûr ! Je garde ce carnet, si ça vous dérange pas, chef. Y a marqué des trucs sur le truc, l’appareil qu’ils ont utilisé dans le canyon, quand on était en tas les uns sur les autres et qu’après qu’on s’est levé ensemble. J’me dis que ça serait pas bien de donner ça à des gens qui font la guerre, non, pas bien du tout, hein cap ? »

Il avait raison, bien sûr. Ce type de document ne devait pas tomber entre les mains de militaires professionnel. John se fit la réflexion que ce carnet ne devait pas non plus rester entre les mains d’une créature à la gorge de ténèbres, capable de faire tomber un engin volant d’un simple geste. Mais John n’en dit rien. Peut-être parce que les lèvres de Finch avaient pris un ton pourpre foncé et que ses yeux n’étaient… plus de ce monde. Le ton de sa voix était joyeux, léger, amical… glaçant comme celui d’un enfant expliquant comment arracher les pattes d’une fourmi sans la tuer.

- « Bon, ben le chemin pour vous c’est par là, chef, dit la créature en pointant du doigt la direction générale du camp de base. Je vous souhaite une longue vie… hahaha, une longue vie, elle est marrante celle-là.
- Je… merci… Finch. Euh… tu as… un trou, là, dit John en désignant la cavité noirâtre bordée de sang séchée sur la poitrine du soldat, visible en raison de la nouvelle chemise mal boutonnée volée sur le pilote.
- Ah ouais, c’est juste ! Un sacré impact, moi j’vous’l’dit ! répondit-il en ajustant sa chemise et son nouveau veston à peine déchiré.
- Mais… ça ne te fait pas mal ?
- Mal ? Nan, c’est plus pour moi ça, maintenant. J’risque plus d’avoir mal. Par contre, j'ai une dalle comme c'est pas permis.
- Ah ? Ben je n'ai plus de ration mais si on...
- Nan, vous inquiétez pas, j'vais me débrouiller ici, avec ce que je vais trouver sur place... mais j'voudrais pas vous mettre en retard, rapport au rapport, aux officiers, la mission et tout ça, hein chef ?
- Non, sans doute... je vais y aller alors ?
- Ouaip ! Bon vent à vous, chef !
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Aikau le bo
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Re: Un matin ordinaire (divagations)

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Episode 18

Et Finch se retourna vers le véhicule volant. Et Dunda, lui, se dirigea vers son camp. Je ne vais pas me retourner, je ne vais pas me retourner, pensa-t-il. Quand il se retourna, cent mètres plus loin, il vit le soldat penché au-dessus du corps du pilote. Le caporal était incapable de voir ce qu'il faisait mais, sentant – à coup sûr – le regard de son supérieur sur lui, Finch releva la tête, lui un signe d'adieu en lui adressant un grand sourire amical, écarlate, maculé de sang. J'ai vu un bras du pilote bouger, pensa Dunda, il est encore vivant. Et Finch ?

John revint à son camp de base. Personne ne chercha à l'arrêter. Il n'était qu'un de ces nombreux « morts qui marchent », comme on les appelait. De ces hommes qui, de retour d'une mission, reviennent en un seul morceau mais l'esprit absent, détruit, mort. On les reconnaissait à leur démarche, étrange, comme celle d'un pantin manipulé par un marionnettiste particulièrement doué mais ne parvenant néanmoins pas à parfaitement contrefaire les mouvements humains. Les soldats détournaient leur regard de lui. Les « morts qui marchent » portent malheur. Nul n'est censé être encore debout dans la mort.

Le caporal Dunda fini par se tenir devant le lieutenant Potter, après avoir traversé un brouillard de sensations, de questions et de bruits. John ne se souvenait pas comment il s'était retrouvé sous la tente de l'officier, mais il ne ne souvenait pas non plus s'être lavé le visage ni être passé à l'infirmerie pour sa main, ce qui était manifestement le cas. Le lieutenant était assis derrière les quelques planches bancales lui servant de bureau, attendant apparemment une réponse à une question, mais laquelle ?

- « Je suis vivant !
-Hein ?
- Je suis vivant ! Non... ?
- Mais qu'est-ce que vous racontez soldat ?! Je vous demande où est le reste de votre équipe ? Ou est le détachement du caporal Fork que vous étiez censé retrouver? C'est quoi ces documents que vous apportez ? D'où les tenez-vous ?
- Je... un mort me les a donné. Ils sont morts ! Tous morts ! C'est pas normal, lieutenant, pas normal. Y a un truc pas ordinaire, lieutenant. Je suis vivant ! La terre ne veut plus de nous. On est trop nombreux, on bouche le fleuve, on fait un barrage, on ne passe plus ! On ne meurt plus, on fait la guerre et la guerre nous fait, mais je suis pas mort ! Mais vous voulez ça, vous, hein ? Hein que vous le voulez ?! Qu'on meurt encore et encore ! Pourquoi, hein ? Pour quoi ?! C'est vous et les autres ! Je suis vivant ! Je suis pas comme Finch, mais je suis vivant quand même, lui, gueule de nuit rouge sang des yeux noirs, moi juste vivant ! Hahaha ! Je suis vivant, lieutenant, je suis vivant, et vous ? Vous êtes vivant ? »
- Quoi ? Vous déraillez complément soldat ! Et lâchez immédiatement cette arme ! Vous entendez ?! Je vous ordonne de lâchez ce pistolet !
- Non, non, vous êtes avec eux… Oui, vous êtes comme eux ! C’est vous qui nous avez envoyé là-bas ! Vous vouliez ça, hein ?! Répondez ! hurla le caporal John Dunda alors qu’il pointait son arme sur le lieutenant. Qu’on meurt et qu’on revienne !
- Vous êtes ici pour obéir, pour servir, soldat ! Pour la dernière fois, lâchez ce pistolet ou je vous fais fusiller ! »

John baissa légèrement son arme. Son regard se perdit un instant dans le vague, vers des rivages inconnus des vivants, là où le ressac de la Réalité venait se briser sur des rocs cauchemardesques. Puis, lentement, il leva à nouveau les yeux, raffermi sa prise et pointa le canon droit sur la tête de son supérieur.

- « Vous êtes comme eux. Pour vous, nous ne sommes que de corps, des pantins que l’on manipule et qu’on l’on jette une fois utilisés, dit-il en appuyant le canon sur le front du lieutenant.
- Vous signez votre arrêt de mort.
- Ca ne durera pas… »

BLAM !
Dernière modification par Aikau le bo le ven. mai 13, 2016 10:40 am, modifié 1 fois.
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Re: Un matin ordinaire (divagations)

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Epilogue

-« Hé, Henry, t'as vu comment qu'il est, le gars qu'à descendu cet ordure de Potter ?
-Ouaip. Un vrai maboul. L'aboyait encore ses trucs de dingue en bavant au moment où ils l'ont fusillé. Comme quoi qu'il était mort, ou pas mort, c'était pas clair. Sûr qu'il est bien mort maintenant. Note que s'il veut encore descendre des gradés comme Potter, il peut revenir quand il veut.
-Dis pas ça. Les frères Wiver jurent d'avoir vu le caporal Kirscher sur le front, hier, et il est mort depuis un mois au moins.
-Pff, les frères Wiver c'est que des sacs-à-vin, écoute pas ces conneries. Les morts, c'est mort, un point c'est tout. Allez vient, on va se préparer pour l'assaut...
-Ouais, t'as un raison, c'est un matin ordinaire... »
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