Mort-né

Ouais sans blagues, ouais, et ça c'est le forum à Chimel ouais, C'EST QUOI MON NOM?

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Mort-né

Message par Aikau le bo »

Pas sûr de finir un jour, mais un nouvel essai de nouvelle...
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Message par Aikau le bo »

Episode 1

Paupières douloureuses. Le dos en compote. Comme piétiné par cheval. Deux fois, au moins. Barnabé Losfeld se sentait mal, très mal. Plus que d’habitude au réveil. Plus que tous ces matins ordinaires où le mal de crâne essaye de s’imposer face à la gorge en feu qui n’est d’ailleurs jamais en reste pour tenter de se montrer plus pressante que la vessie détraqué ou les muscles chiffonnés, battus, tordus ou tout simplement douloureux. Ce n’était pas un de ces matins ordinaires où l’effroi de sa propre condition était vite chassé par l’injonction absolue du flacon, où la culpabilité tremblait le temps que les mains cessent de le faire. Les pensées introspectives, Barnabé se les réservait pour le coucher du soleil, quand sa conscience des choses était lumineuse, ce moment de grâce terrible où les vapeurs brumeuses ne se sont pas encore levées et ne sont que rosée brillante de mille feux. Non, là, ce n’était pas un matin ordinaire. Déjà, Barnabé ne dormait jamais en cellule.
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Re: Mort-né

Message par Aikau le bo »

Episode 2

Barnabé Losfeld était un homme heureux. Enfin, il aimait à se penser ainsi, puisque l’autre possibilité aurait appelé une réaction de sa part et que Barnabé n’avait ni le temps ni l’envie de changer quoi que ce soit. A quoi bon se mettre martel en tête, pensait-il ? J’ai tout ce que je souhaite – C’est faux ! – et ce que je n’ai pas, ma foi, je pourrais tenter de l’avoir demain, avec quelques efforts supplémentaire, non ? C’est juste une question de volonté, d’énergie, de temps et un peu d’argent, non ? Oh ! Bien sûr ! Il savait qu’on ne peut pas tout avoir et que le secret de la félicité résidait dans le fait de se contenter des « choses naturelles et nécessaires », comme le disait le vieil Epicure (Barnabé était un lettré, c’est sûr, et un poète aussi, sûrement, s’il s’en donnait la peine). Mais bon, le naturel était vite ennuyeux et le nécessaire, et bien, tout dépendait des besoins spécifiques, pas vrai ? Et puis, qu’est-ce qu’ils en savaient, ces Grecs ? Ils croyaient que la terre était plate, alors… Alors Barnabé se levait habituellement vers dix heures, rarement après midi. D’ailleurs, ses consultations, ils ne les faisaient plus jamais à son cabinet, qui tendait à ressembler à l’autre sorte ces derniers temps, surtout rapport à l’odeur… Bah ! Un oubli, ça arrive, non ? Et puis, marcher, se déplacer, s’activer, c’est bon pour la santé ! Alors… quoi déjà… ? Ah oui ! Alors Barnabé se déplaçait chez ses patients, tous les jours que le Seigneur faisait, oui Monsieur ! Même le dimanche, car être dévoué est l’une des premières qualités du bon médecin, en plus d’être payé, bien sûr…
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Re: Mort-né

Message par Aikau le bo »

Episode 3

Barnabé aimait les putes. Comme tout le monde, bien sûr, mais un peu plus que les autres, sans doute. Certains de ses camarades, lors de ses études de médecine à New York, avaient fait remarquer qu’après avoir pratiqué une fille de joie on ressentait un vague dégoût mais qu’après avoir ausculté dans le cadre des travaux pratiques obligatoires la même prostituée – consultation gratuite, résultat non-garanti – on ne ressentait que la froide satisfaction du travail bien fait, ou fait, du moins. Pas Barnabé. Lui, il les aimait vraiment, ces putes. Contrairement à la plupart de ses coreligionnaires, du moins d’après ce qu’ils lui en disaient à l’époque, il ne les considérait pas comme de simples pouliches à monter, à flatter, à nourrir, à dompter et même à battre, à l’occasion. Non, pour Barnabé Losfeld, les catins étaient tout à la fois maîtresses chaleureuses, mères aimante et filles délicates – et objets à briser! Souviens-toi ! –, et le jeune médecin qu’il était n’appréciait guère l’humour noir en vogue alors chez les étudiants. Certes, ces filles faisaient rarement de vieux os. Certes, elles se fanaient aussi vite que le coquelicot une fois leur « petit fleur » cueillie. Mais ce n’était pas une raison pour les dénigrer, pour les moquer, pour en abuser puis les railler et les rabaisser. Non. Il fallait les aimer, ces putes, pour les baiser et pour les soigner, et Barnabé avait trouvé l’emploi idéal pour mener à bien ces deux activités.
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Re: Mort-né

Message par Aikau le bo »

Episode 4

Jenny dans le Wisconsin était la ville parfaite pour Barnabé. Il s’y senti bien dès qu’il y posa le pied, descendant d’une mauvaise diligence après un harassant voyage depuis l’est du pays, partant de l’hystérique fourmilière new-yorkaise (de plus en plus étrange et dangereuse ces derniers temps), passant par d’autres villes moins hystériques mais non moins « typiques », puis par des plaines sans fin (telles que tout impératif narratif les conçoit), des collines nettement collineuses, des bois opportunément constitués d’arbres sans doute majestueux, des montagnes sûrement très hautes avec de si jolies pointes blanches au bout, donnant lors de haltes dans des auberges ou des comptoirs l’occasion d’entrapercevoir des « sauvages » (montant des chevaux sellés, habillés de manière civilisés, même pas ivres ou violant des vierges… une déception d’ordre stylistique mais apparemment pas de quoi s’alarmer), pour arriver finalement, après s’être enfoncé pendant presque une journée dans une forêt très dense constituée majoritairement de conifères oppressants, sinistres ou romantiques suivant l’humeur de l’observateur, au sommet d’une colline offrant une vue splendide de la ville grandissant de manière effrénée. Voilà. C’est ainsi que Barnabé se souvenait de son périple vers Jenny, ou du moins aimait à s’en souvenir.
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Re: Mort-né

Message par Aikau le bo »

Episode 5

Les cinq milles âmes de la localité jouissaient d’un cadre de vie rude mais propice aux opportunités, entendez par là que l’environnement était dangereux mais que quiconque ayant l’énergie et la moralité adéquate pouvait « faire son trou » et « devenir quelqu’un ». Au nord- est de la cité, la colonie de Greenstone extrayait de l’argent qui était ensuite raffiné en ville, tandis qu’au nord-ouest la colonie de Redtree faisait descendre, au fil de la rivière Allayne vers Jenny, des essences de bois de qualité supérieure, en particulier le fameux cèdre blanc de la compagnie Dunormand. Éparpillé dans la forêt, des camps de trappeurs fournissaient à la ville des peaux très recherchées, comme celles du loup gris. Enfin, tout au nord de l’état du Wisconsin, à trois jours de cheval de Jenny, le Fort Northend (le bien nommé) assurait des commandes régulières de vivres et de matériel divers à la ville tout en sécurisant une région encore largement peuplée de sauvages très sensibles aux « questions territoriales ». Toutes ces données géographiques ou économiques n’intéressaient nullement Barnabé même si, en y réfléchissant bien, il aurait pu comprendre que ces différents facteurs favorisaient grandement son emménagement dans la ville : autant d’hommes rudes, faisant des métiers dangereux, dans un environnement hostile, concentrés dans un si petit périmètre, accroissait fortement la demande en médecin compétent – ce qu’il était – et en prostituées – ce qu’il aimait. Le docteur Losfeld tomba rapidement amoureux de Jenny et la traita comme une putain, la soignant avec douceur et professionnalisme, la baisant avec ardeur – et rage ! –, se perdant dans ses bras et tétant à son sein son lait malté, ambré, capiteux, grisant, généreux avec une touche de noisettes et de miel, glissant dans sa gorge comme le nectar interdit de dieux païens réclamant une adoration sans faille, une dévotion à laquelle nul ne pouvait se soustraire, donnant force et courage, chassant les peurs et les cauchemars – et la culpabilité ! –, rehaussant d’un carmin joyeux les joues pâles et réchauffant les cœurs durant les longues nuits glacées des hivers du nord. La distillerie Monrow, Jenny, Wisconsin, produisait vraiment un excellent whisky et, si elle ne fut pas le déclencheur de sa relation amoureuse avec la ville, elle fut à coup sûr un puissant aphrodisiaque.
Dernière modification par Aikau le bo le ven. oct. 07, 2016 9:39 am, modifié 1 fois.
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Re: Mort-né

Message par Chimel »

Cela commence à vraiment avoir de la gueule cette nouvelle....
En essayant continuellement on finit par réussir. Donc, plus ça rate, plus on a de chance que ça marche
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Re: Mort-né

Message par Aikau le bo »

Episode 6

Barnabé s’installa dans les premières hauteurs de la ville. Il avait pris contact avec un propriétaire avant son départ qui lui avait garanti un logement répondant à ses besoins à son arrivé. Il loua donc une petite maison construite à la va-vite et abandonnée presque aussitôt par son ancien locataire pour une raison inconnue (de Barnabé, qui ne s’en préoccupa pas ; d’autres savaient, mais ne furent pas questionnés). Le loyer était relativement élevé, mais le rez-de-chaussée pouvait aisément être transformé en cabinet, ce qui laissait au docteur une belle chambre en attique au premier ainsi qu’une petite salle d’eau et une chambre pour les amis qu’il n’avait pas encore mais ne manquerait pas de se faire. La maison en bois avait encore cette odeur particulière des planches neuves, parfum inhabituel pour un new-yorkais mais qui plût instantanément au docteur. La route desservant son logis serpentait paresseusement sur la colline, les habitations s’espaçant et grandissant à mesure que l’on prenait de la hauteur jusqu’à se terminer au manoir Ford, tout en haut, dominant Jenny. Le pécule donné par ses parents à la fin de ses études et conservé précieusement lui permit de payer son voyage, de s’installer et d’aménager son cabinet sans s’inquiéter outre mesure. Certes, il lui faudrait très rapidement trouver une clientèle régulière pour subvenir à ses besoins mais, sur ce point-là du moins, il ne se faisait pas de soucis car, prévoyant, il avait obtenu avant même son arrivée un engagement auprès du propriétaire du Hot Snow Saloon, établissement aussi respectable que possible dans ce coin du Wisconsin.
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Re: Mort-né

Message par Aikau le bo »

Episode 7

Ainsi, en ce mois d’août 1865, Barnabé s’apprêta soigneusement devant son miroir avant de se présenter à son premier employeur fixe de la ville de Jenny. Le verre poli, quasiment neuf comme tout l’ameublement de la maison, renvoya une image satisfaisante à Barnabé. Âgé de vingt-six ans seulement, il s’était laissé pousser la barbe afin de se vieillir et de rassurer ainsi ses patients. Pour la même raison, il portait de petites lunettes rondes qui ne lui étaient réellement utiles que lorsqu’il devait lire. Ses traits fins sans être efféminés plaisaient, semblait-il, à ces dames, et ses yeux verts très clairs lui attiraient souvent les compliments de femmes plus âgées que lui (pour une raison qui lui échappait, apparemment seules les femmes de l’âge de sa mère ou de sa grand-mère lui faisaient des compliments, les jeunes n’en faisaient pas ou alors il fallait les payer, ce qui ne gênait pas le moins du monde Barnabé au demeurant). Svelte, il avait songé à rembourrer son linge de corps afin d’afficher la petite bedaine quelque peu bourgeoise en vogue chez les praticiens de New-York avant de se raviser. Il était dans l’extrême nord de l’Union et les mœurs quelque peu futiles de La Grande Ville n’avaient probablement pas de sens ici. Et puis, il comptait bien se rembourrer tout seul, naturellement, grâce à la nourriture roborative – et au whisky ! – adaptée aux hivers de la région. Il lissa ses cheveux châtains en arrière, réajusta son veston noir de chez Sparks, toucha machinalement sa montre gousset porte-bonheur (cadeau de son grand-père paternel aujourd’hui décédé), posa délicatement son petit chapeau rond sur sa tête et sorti se présenter au Hot Snow Saloon. Il était confiant. Il faisait beau. Tout allait bien se passer. Non ?
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Re: Mort-né

Message par Aikau le bo »

Episode 8

Le chemin pour se rendre à son premier emploi dans la ville fut très agréable. Barnabé, bien qu’habitué à l’effervescence citadine, se senti exalté par l’industrieuse activité de Jenny. Tout semblait en construction, en réfection ou en démolition. Chacun vaquait à ses affaires d’un air empressé mais en prenant apparemment néanmoins le temps de saluer son voisin, de lancer une blague à une connaissance, bref, de témoigner à tout à chacun un intérêt qui serait franchement suspect à New-York, où l’anonymat prévalait. Barnabé croisa de nombreuses échoppes qui semblaient florissantes, preuve du dynamisme économique de la région. Au sud, le port et la Scierie Générale occupe tout le bras extérieur de la rivière Allayne, raison première – Barnabé l’apprendra rapidement – de la construction de la ville en cet endroit. Un flux continu de bois descendait l’Allayne, en flottant depuis l’amont et ses sites de bucheronnage, en passant par Jenny et ses scieries, puis en continuant vers l’aval sur des barges remontées par la suite par un petit vapeur.

Le trajet entre la maison de Barnabé et le saloon était court, une dizaine de minutes à peine, mais lui permit de s’enivrer d’odeurs, de sons, de sensations qui mirent le praticien en joie. Il fut toutefois légèrement désappointé en arrivant devant le Hot Snow. En effet, l’établissement bien que répondant aux critères esthétiques primordiaux d’un saloon selon Barnabé – auvent, premier étage avec probablement les chambres des clients, fenêtre avec rideaux ne laissant pas voir l’intérieur – aucune porte à deux vantaux n’était présente. Au contraire une lourde porte s’imposait, ouverte présentement, de même que de solides volets aux fenêtres qui cassaient quelque peu le romantisme héroïque des lieux. Peu importe, pensa Barnabé, mieux vaut avoir chaud en hivers que d’être accueillant à tout prix. Il passa donc l’entrée, confiant, affichant l’air détaché de tout être familier des lieux sinon de débauche du moins de perdition (ou l’inverse, peut-être…).
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Re: Mort-né

Message par Aikau le bo »

Episode 9

- « Bien le bonjour, Monsieur. Je me présente, Dr. Barnabé Losfeld. Je souhaiterais voir Monsieur Swinge. »

Le barman leva son regard faussement baissé sur le verre qu’il astiquait (il avait comme tout bon professionnel repéré le client dès que ce dernier avait seulement songé à franchir la porte du saloon). La généreuse barde admirablement taillée du barman s’élargie sur un large sourire tandis qu’il répondit d’une voix délicate :

- « Bien le bonjour docteur. Je m’appelle Joshua, pour vous servir. Puis-je vous demander pour quelle raison vous souhaitez voir Monsieur Swinge s’il-vous-plaît ?

- Enchanté, Joshua, répondit Barnabé en posant son chapeau sur le comptoir. Eh bien, je dois voir votre patron car je vais travailler pour lui et souhaitait me présenter afin de régler les détails pratiques de mon engagement.

- Oh vraiment Monsieur ? Et puis-je vous demander à quel poste vous travaillerez, afin que je puisse vous annoncer de manière appropriée à Monsieur Swinge ?

- Bien entendu, bien entendu. Je suis engagé en tant que médecin ici-même et vais plus particulièrement veiller à la santé du personnel féminin de cet établissement, répondit Barnabé avec un sourire entendu qu’il espérait à la fois conspirateur et gentiment canaille.

- Ah ? C’est étonnant. Je ne savais pas que… veuillez m’excuser, je vais avertir immédiatement Monsieur Swinge, rétorqua Joshua qui s’éloigna, ouvrit une porte à côté du bar qu’il referma rapidement derrière lui.

Barnabé resta quelque peu interloqué par la réponse légèrement gênée du barman mais ne s’en formalisa pas. Après tout, il avait eu le bon sens de n’entreprendre le long voyage depuis New-York qu’après avoir reçu une confirmation écrite de son engagement. Et puis, le barman n’était sans doute pas dans les confidences du patron. Le secret des affaires impose souvent une certaine discrétion…
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Re: Mort-né

Message par Aikau le bo »

Episode 10

Barnabé connaissait bien le secret, il le pratiquait depuis de longues années. Tout petit déjà, comme aimait à lui rappeler sa tendre mère, il cachait toute sorte de choses dans la maison et se faisait un devoir de ne jamais révéler l’emplacement de la cachette. Ou alors, il dérobait ces objets et les remettait à leur place plus tard. Des lettres, des cuillères, des lacets, tout ce qui passait à sa portée et pouvait constituer d’amusantes blagues pour son entourage, rien ne lui échappait. Cela le mettait en joie de chaparder – jamais de l’argent, Grands Dieux non ! –, mais ce qui constituait le vrai défi pour lui c’était de ne pas avouer où cela était caché. C’était le jeu le plus amusant, le plus dangereux aussi, car il fallait choisir avec grand soin quoi dérober, où le cacher pour que cela soit découvert ou non suivant ses envies, comment réagir quand on l’accusait alors qu’il était coupable – presque toujours – et – délicieux – comment réagir lorsqu’il était innocent ou que l’objet du larcin était « miraculeusement » revenu à sa place. Son père se fâchais régulièrement contre lui, le grondais sévèrement pour qu’il avoue. Sa mère, plus subtile – et si belle ! – et plus fine, le cajolait, usait de douceur pour lui faire dire où était son dé à coudre ou son nœud de soie. Lorsque Barnabé se montrait plus buté qu’à l’accoutumée, sa mère usait de son arme fatale : la tristesse. Alors, il avouait tout, se confessait entièrement, allait chercher tout ce qu’il avait caché, s’excusait, pleurait toutes les larmes de son corps comme s’il venait d’être condamné à la plus lourde des peines. Et puis, après quelques temps, il recommençait à chaparder et à amuser de ses frasques son entourage. La seule fois où, enfant, il eu de véritables problèmes fut le jour où il déroba les clés de son père. C’était un larcin comme un autre, même si Barnabé savait qu’il lui faudrait très rapidement faire « réapparaître » le trousseau s’il ne voulait pas être puni et faire pleurer sa maman. Cependant, ce jour-là, la réaction de son père fut sans commune mesure avec les punitions qu’il avait reçues jusque-alors. M. Losfeld entra dans une colère noire. Barnabé, bien que déstabilisé par cette réaction violente inhabituelle, réagi par automatisme en disant ignorer où ce trouvait le trousseau. Son père, bien sûr, n’en crû pas un mot mais cette fois battit son fils comme jamais, usant non de gifles ou, comme dans les cas « graves » de son ceinturon, mais de ses poings, frappant son enfant et ne se retenant que pour hurler sa question : Où sont les clés !? Son père criait, sa mère pleurait, mais aucun son ne sortait de la bouche de Barnabé, incapable qu’il était de prendre conscience de la situation, malgré les coups, malgré la douleur, malgré sa maman qui était triste à cause de lui alors qu’elle tentait vainement de retenir son mari. Finalement, Barnabé s’évanoui après que sa tête eu heurté le rebord de la table du salon. De sa poche s’échappèrent à ce moment-là les clés qu’il avait gardées près de lui afin de pouvoir les remettre rapidement à leur place.

L’enfant passa les trois jours suivants à divaguer, entre ombres et lumières, cauchemars éveillés et réalisme onirique. Trois jours et trois nuits de fièvre, de souffrance, de lucidité lancinante et de divagations éclairées. Le quatrième jour, il se réveilla, la conscience limpide, avec une seule image en tête : les clés. Le trousseau avait une clé de plus, une grosse, quelque peu grossière, que Barnabé ne se souvenait pas avoir vu auparavant. Cet éclair que l’enfant accueilli comme une épiphanie expliquant et excusant tout le rasséréna plus que le laudanum que sa mère lui fit prendre pour étouffer les gémissements de son corps meurtri. Il y avait une cause, une raison. Ce n’était plus un mystère mais une énigme, et Barnabé aimait résoudre les énigmes.
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Re: Mort-né

Message par Aikau le bo »

Episode 11

- « Monsieur Lostfield ?
- Losfeld, Barnabé Losfeld, pour vous servir, répondit avec un sourire chaleureux Barnabé à l’homme qui venait de se présenter à lui. La cinquantaine, le cheveu rare, vêtu d’un costume noir et d’un gilet d’or, le ventre proéminant, rond et ferme, la moustache poivre et sel bien fournie, l’homme avait l’allure de l’entrepreneur efficace mais pressé. Il tendit une grosse pogne qui avait manifestement connues d’autres tâches que la vérification de la comptabilité et serra trop fortement mais sans brutalité la main délicate de Barnabé.
- Je suis Edward Swinge, le propriétaire du Hot Snow. Asseyez-vous, dit-il en désignant du doigt une des tables de la salle principale derrière Barnabé.

Le médecin se retourna et s’assit à l’une des huit tables ronde disponible, toutes inoccupées en cette heure diablement matinale pour un saloon, pendant que Monsieur Swinge passait derrière le bar et emportait une bouteille de whisky ainsi que deux verres. Inexplicablement mal à l’aise, Barnabé détailla la pièce principale. Son long bar au fond, son large miroir juste derrière, l’escalier menant au premier étage avec sa balustrade permettant aux belles de déambuler et d’aguicher les clients, les lattes de bois patinées au sol…tout cela correspondait exactement à l’idée du saloon tel qu’il devrait être dans l’esprit de Barnabé. Tout était en place. Le silence se fit. La pièce pouvait commencer.
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Re: Mort-né

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Episode 12

Monsieur Swinge s’assit, posa la bouteille sur la table, servit deux verres, en tendis un, leva le sien devant son visage, regarda Barnabé dans les yeux, bu d’une seule traite, reposa son verre, prit une respiration, parla.

- « Vous n’avez pas le poste. »

Barnabé resta là. Sans rien dire. Son verre de whisky toujours plein, il était comme frappé de stupeur, tentait de reprendre ses esprits mais n’arrivait pas à mettre de l’ordre dans ses pensées. Pas le poste ? Comment ça pas le poste ?

- « Pas le poste ?
- Non, Monsieur Loosefeld.
- Mais… pourquoi ? Comment… ?
- Le poste a été attribué à quelqu’un d’autre.
- Mais… j’ai une lettre, ici, dit-il en sortant une enveloppe de la poche intérieur de son veston, qui dit que je…
- C’est caduc. Quelqu’un s’est présenté il y a deux semaines. Je l’ai engagé.
- Mais…enfin, c’est impossible… La lettre dit que je…
- C’est trop tard.
- Je… j’ai traversé la moitié du pays pour venir à Jenny, j’ai loué une maison, dépensé mon pécule pour le voyage, je… non, c’est impossible. Je m’insurge ! C’est illégal ! »

A cette mention, le regard distant et légèrement ennuyé de Swinge se fit dur, direct, pénétrant, glacé.

- « T’es pas à la grande ville, petit. Ici, une poigné de main vaut plus qu’un bout de papier. Ici, à Jenny, la loi c’est une notion fluctuante. Par exemple, tu vois, dans mon saloon, la loi c’est moi. Et la loi dit que tu n’as pas le poste. La loi est dure mais la loi est miséricordieuse. Alors la loi t’accorde quelques tournées et de quoi t’amuser un peu au premier étage. Tu souhaites contester le jugement, petit ? »

Barnabé était sous le choc. Comment était-ce possible ? Cela ne se pouvait, il avait tout planifié, tout devait bien se passer. C’était injuste, incompréhensible, illogique. Il regarda Edward Swinge se lever, laisser la bouteille de whisky sur la table et faisant un signe de la main au barman, ouvrir la porte derrière le bar, y entrer puis fermer la porte. Ce fut tout. C’était fini. Voilà. Barnabé regarda le verre qu’il avait toujours à la main, le breuvage toujours à l’intérieur. Il prit deux longues inspirations. Cela n’allait pas se passer ainsi, il ne pouvait l’accepter ! Il fallait qu’il agisse, qu’il se batte ! Il avait bien des défauts mais n’était pas un couard ! Hors de question de se laisser abattre ! Non ! Barnabé Losfeld n’était homme à se laisser faire ! Il leva son verre, saluant narquoisement la porte par laquelle Swinge venait de passer. Il y aura des compensations, tu ne t’en tireras pas comme ça, pensa-t-il. Quelques bouteilles et des putes (qu’il aurait dû examiner, quelle ironie !) ne suffiront pas. Je vais prospérer, je vais grandir et c’est toi qui viendras me demander, non, me supplier de venir travailler pour toi ! Oui, tu ne perds rien pour attendre. Santé, salaud ! Et Barnabé porta rageusement son verre à ses lèvres et but.
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Re: Mort-né

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Episode 13

Quand Barnabé Losfeld reposa son verre, trois mois s’étaient écoulés. Enfuis, disparus, évaporés – avalés ! Trois mois s’était envolés à une vitesse affolante dans un cercle – un tourbillon ! – sans fin allant langoureusement de plus en plus vite sans jamais sortir de la ligne du présent. Un rêve ou tout va vite alors que l’on est englué. Présent, futur, passé, tout cela à la fois sans pouvoir dire avec certitude si cela est avant ou ceci après l’évènement non encore produit.

Barnabé avait levé ce premier verre d’excellent whisky à Jenny, au saloon Hot Snow, et avait continué, encore et encore, jusqu’à ce qu’il se réveille chez lui le lendemain, sans savoir comment il était rentré. Nauséeux, souffrant d’une migraine atroce et d’un œil au beurre noir inexplicablement apparu, il s’était levé faible mais toujours enragé, avait copieusement vomi par la fenêtre et s’était préparé du café – beaucoup – noir – très. La colère l’habitait comme une vicelarde petite bestiole qui cherchait sans cesse à lui remonter à « travers » la gorge. Il la sentait se tortiller, se tourner et se retourner, gémir même… La résolution de Barnabé restait terrible et étouffait aisément la vague culpabilité de s’être saoulé chez son ennemi, de s’être « laissé aller » comme disait sa mère. Mais en même temps, il fallait bien reconnaître que le Hot Snow était un lieu très agréable, que la boisson était excellente et les catins charmantes (que Barnabé n’avait pas touché, bien que plusieurs d’entres elles se fussent présentées à lui de la manière la plus approprié et professionnelle, à savoir en s’asseyant sur ses genoux, en donnant à voir un décolleté plongeant ou en effleurant son entrejambe d’une main experte). Il se dit qu’il retournera au saloon occasionnellement, juste histoire de se rasséréner, de se rappeler pourquoi il était en colère. Il y retourna tous les soirs durant trois mois, et plus encore.
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