Re: Un matin ordinaire (divagations)
Publié : ven. avr. 15, 2016 4:29 pm
Episode 16
Les hommes escaladèrent les rochers récemment détachés et se retrouvèrent dans la plaine. A ce moment-là, plusieurs compagnons de John tombèrent, désarticulés, comme mort sur place (ha !) en regagnant la surface de la terre et en quittant le secret de ses artères cachées. Seuls John, Finch et deux autres soldats, dont celui à la mâchoire manquante, restèrent debout et continuèrent leur route. Le caporal Dunda n’accorda pas un regard aux condisciples au sol. Ils étaient morts, et John en avait vu d’autres, tellement d’autres… Écrabouillés, déchiquetés, enterrés, fusillés, noyés, pendus, coupés, vidés, asphyxiés, brûlés, éventrés, étripés, transpercés, brisés, broyés… tous, ils étaient tous morts, de mille façons mais pour une seule conclusion : la mort. Sauf que la mort semblait moins définitive ces jours-ci. Ultime cruauté : on pouvait mourir plusieurs fois.
Ils marchèrent longtemps, dans un silence régulièrement souillé par la machine volante qui les survolait comme un insecte nuisible. Le caporal divaguait, s’échappait de son corps qui continuait d’avancer. Ils n’y avait plus que lui et Fich, maintenant, les deux autres étaient… mort ? Plus là, en tout cas. Ils marchèrent des heures et ne croisèrent pas âme qui vive. Dunda connu un instant d’angoisse en se demandant si lui aussi était mort et déambulait dans une plaine éternelle, infinie, un purgatoire pour les soldats, pour ceux dont la mort était vaine, dénuée de sens, punis par Dieu pour avoir participé à cette boucherie. L’insecte de métal passa très près et tira John de sa rêverie. Ils approchaient du camp. Alors, Finch s’immobilisa et le caporal cru qu’il allait s’effondrer, lui aussi. Mais non. Il se tourna vers John et lui dit :
- « C’est ici que nos chemins se séparent, chef. J’rentre pas avec vous.
- Que, quoi ? Mais… tu, tu vas où ?
- Une longue route m’attend. Un océan de possibilités. Quelques dettes à honorer. D’autres à réclamer. J’ai le temps maintenant, hahaha ! »
Et John vit un gouffre noir dans sa gorge, un puits sans fond d’obscurité.
- « Mais vous inquiétez pas, chef. J’vais m’occuper de ce clown au-dessus de nous. Vous pourrez sûrement récupérer quelque chose d’intéressant pour les gradés, vous savez comment ils sont… »
Au moment où l’ornithoptère refaisait un passage en trombe, Finch leva le bras et lui fit décrire un rapide arc de cercle vers le sol. L’engin, passant à pleine vitesse au-dessus d’eux, suivi exactement la même trajectoire et se fracassa contre la terre gorgée de sang de la plaine dans un épouvantable son de métal déchiré. John perdit l’équilibre, dérapa et se retrouva à genoux. Finch n’avait pas tressailli. Ils restèrent de longues minutes sans bouger à regarder ce qui était un instant plus tôt un engin volant d’une rare ingéniosité. La machine fumait, l’hélice arrière tournant encore au ralenti, mais n’était plus qu’un amas de fer au milieu duquel était prisonnier un corps humain apparemment encore en vie si on se fiait aux gargouillis non-mécaniques. Et puis, finalement, Finch s’avança et se mit à fouiller, à tirer sur le métal tordu, dépeçant de manière quelque peu obscène le cadavre de l’insecte de fer et celui encore absurdement vivant du pilote. John entendit des supplications soufflées, murmurées par un corps mutilé, aussi légères que la respiration d’un ange, aussi grinçantes que le rire d’un démon. Il suppliait. Pourquoi ? John ne savait pas. Pour… quoi ? John ne savait pas non plus.
Les hommes escaladèrent les rochers récemment détachés et se retrouvèrent dans la plaine. A ce moment-là, plusieurs compagnons de John tombèrent, désarticulés, comme mort sur place (ha !) en regagnant la surface de la terre et en quittant le secret de ses artères cachées. Seuls John, Finch et deux autres soldats, dont celui à la mâchoire manquante, restèrent debout et continuèrent leur route. Le caporal Dunda n’accorda pas un regard aux condisciples au sol. Ils étaient morts, et John en avait vu d’autres, tellement d’autres… Écrabouillés, déchiquetés, enterrés, fusillés, noyés, pendus, coupés, vidés, asphyxiés, brûlés, éventrés, étripés, transpercés, brisés, broyés… tous, ils étaient tous morts, de mille façons mais pour une seule conclusion : la mort. Sauf que la mort semblait moins définitive ces jours-ci. Ultime cruauté : on pouvait mourir plusieurs fois.
Ils marchèrent longtemps, dans un silence régulièrement souillé par la machine volante qui les survolait comme un insecte nuisible. Le caporal divaguait, s’échappait de son corps qui continuait d’avancer. Ils n’y avait plus que lui et Fich, maintenant, les deux autres étaient… mort ? Plus là, en tout cas. Ils marchèrent des heures et ne croisèrent pas âme qui vive. Dunda connu un instant d’angoisse en se demandant si lui aussi était mort et déambulait dans une plaine éternelle, infinie, un purgatoire pour les soldats, pour ceux dont la mort était vaine, dénuée de sens, punis par Dieu pour avoir participé à cette boucherie. L’insecte de métal passa très près et tira John de sa rêverie. Ils approchaient du camp. Alors, Finch s’immobilisa et le caporal cru qu’il allait s’effondrer, lui aussi. Mais non. Il se tourna vers John et lui dit :
- « C’est ici que nos chemins se séparent, chef. J’rentre pas avec vous.
- Que, quoi ? Mais… tu, tu vas où ?
- Une longue route m’attend. Un océan de possibilités. Quelques dettes à honorer. D’autres à réclamer. J’ai le temps maintenant, hahaha ! »
Et John vit un gouffre noir dans sa gorge, un puits sans fond d’obscurité.
- « Mais vous inquiétez pas, chef. J’vais m’occuper de ce clown au-dessus de nous. Vous pourrez sûrement récupérer quelque chose d’intéressant pour les gradés, vous savez comment ils sont… »
Au moment où l’ornithoptère refaisait un passage en trombe, Finch leva le bras et lui fit décrire un rapide arc de cercle vers le sol. L’engin, passant à pleine vitesse au-dessus d’eux, suivi exactement la même trajectoire et se fracassa contre la terre gorgée de sang de la plaine dans un épouvantable son de métal déchiré. John perdit l’équilibre, dérapa et se retrouva à genoux. Finch n’avait pas tressailli. Ils restèrent de longues minutes sans bouger à regarder ce qui était un instant plus tôt un engin volant d’une rare ingéniosité. La machine fumait, l’hélice arrière tournant encore au ralenti, mais n’était plus qu’un amas de fer au milieu duquel était prisonnier un corps humain apparemment encore en vie si on se fiait aux gargouillis non-mécaniques. Et puis, finalement, Finch s’avança et se mit à fouiller, à tirer sur le métal tordu, dépeçant de manière quelque peu obscène le cadavre de l’insecte de fer et celui encore absurdement vivant du pilote. John entendit des supplications soufflées, murmurées par un corps mutilé, aussi légères que la respiration d’un ange, aussi grinçantes que le rire d’un démon. Il suppliait. Pourquoi ? John ne savait pas. Pour… quoi ? John ne savait pas non plus.