Mort-né

Ouais sans blagues, ouais, et ça c'est le forum à Chimel ouais, C'EST QUOI MON NOM?

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Aikau le bo
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Re: Mort-né

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Episode 14

Barnabé se convainquît en se préparant ce premier matin de son premier jour en tant que médecin de Jenny, Wisconsin, que oui, il retournera au saloon, mais qu’il s’y fera aussi connaître, s’y fera une patientèle – s’y soulera toutes les nuits, s’avilira et boira encore et encore sa propre âme dans l’antre de celui qui l’a poussé à devenir l’épave qu’il a toujours été. Il croisa son « confrère » (Dieu que cela faisait mal de le dire, de le penser même) trois semaines après son arrivée en ville. Celui qui lui avait pris son travail était svelte, à la limite de la maigreur, le visage émacié quoique très bien proportionné et agréablement symétrique. Ses cheveux étaient mi- longs, noirs. Barnabé estima son âge à environ trente ans. Il s’appelait Joshua Ebenezer. Il descendit du premier étage en fin d’après-midi, sa sacoche à la main, alors qu’il venait de terminer sa visite hebdomadaire des « filles » du saloon. Barnabé s’y trouvait, inhabituellement tôt, et Joshua aussi, inhabituellement tard. De multiples scénarios avaient tourmentés le médecin spolié depuis son éviction : allait-il attaquer son rival, le railler, le provoquer, l’insulter ou alors sympathiser, peut-être même s’en faire un allié contre Edward Swinge ? Barnabé n’avait rien décidé et se tenait prêt à tout, à se battre comme à se montrer amical. Ebenezer arriva dans la salle principale du saloon et Barnabé sentit son rythme cardiaque accélérer, son poing se serrer, sa mâchoire se contracter, l’adrénaline affluer dans son corps. Il était prêt à la confrontation, quelle qu’elle fut ! Le docteur Ebenezer traversa la salle et n’accorda aucune attention à son environnement, se tenant coi, ne saluant personne. Et ce fut tout. Barnabé se rendit compte, trop tard, qu’il avait espéré…quoi ? Il ne le savait pas. Quelque chose. Un évènement qui le tirerait de son apathie, peut-être ? Mais non, rien, ou si peu. Barnabé ne fit rien. A nouveau.
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Aikau le bo
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Re: Mort-né

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Episode 15

Il faisait froid, très froid, lorsque Martin Cohan vint trouver Barnabé à son domicile en pleine nuit. L'homme frappa à la porte d'abord timidement puis avec vigueur alors que Barnabé venait à peine de se coucher - de s'effondrer dans son lit ! Le médecin jura, manqua de tomber, cracha sur le sol et descendit ouvrir.

 « C'est ma femme, docteur ! Faut venir, l'est pas bien du tout ! Elle saigne du bas et elle crie et la rebouteuse est pas chez elle ! Faut venir docteur ! »

Barnabé maugréa une réponse, attrapa sa sacoche, son lourd manteau et sorti dans le nuit. L'ivresse le quitta rapidement dans l'étreinte glacée du dehors mais pas la noirceur qui étreignait son cœur. Encore une femelle qui va mettre bas, se dit-il. Est-ce que je la connais ? Les femmes d'ici font plutôt appel aux autres bonnes femmes pour régler leurs problèmes. Il n'avait participé depuis son arrivé à Jenny qu'à un seul accouchement – et encore, les femmes présentes ne l'avait accepté que parce que la future mère l'exigeait - et n'avait constaté qu'une fausse couche. De part son inclinaison pour les prostituées il avait eu plus souvent l'occasion de « faire passer » les fœtus que de les mener à leur terme... Ils marchèrent rapidement vers une de ces petites cabanes à l'orée de la ville. Pauvreté fut le mot qui vint à Barnabé. J'espère qu'ils pourront payer, pensa-t-il immédiatement après. L’intérieur était constitué d'une pièce faisant office de cuisine, de salon et d'atelier – Martin était apparemment menuisier. Au fonds, une porte donnait sur une chambre d'où provenait des gémissements. Martin se tordait anxieusement les mains en lui désignant du regard la chambre. Barnabé « exhala » un soupir éthylique et rentra seul dans la pièce.

L'homme de l'art vit immédiatement que cela, comme on disait, « ne se présentait pas bien ». Madame Cohan se tordait de douleur dans son petit lit, les draps trempés d'une mauvaise sueur. Du sang, il y a du sang, se dit-il. Pas bon. Trop. Bah ! La femme leva un regard implorant et Barnabé eu brièvement pitié avant de se mettre au travail. Elle était enceinte d'environ trois mois, avait dit son mari. Barnabé aurait plutôt dit six ou sept, à la vue du ventre gonflé sous la chemise de nuit souillée. Elle avait brusquement commencée à avoir mal en début de soirée. Elle avait commencé de perdre du sang à la nuit. Elle avait senti ses « entrailles se déchirer » avant d'envoyer son mari chercher quelqu'un. Barnabé l'ausculta malgré son agitation et ses cris. Quelque chose n'allait vraiment pas. Une malformation, une maladie. Pas un décès du bébé car le médecin senti un mouvement sous la peau tendue de la patiente. Et elle perdait du sang.
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Re: Mort-né

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Episode 16

- « Il faut l'opérer, dit Barnabé à Martin dans la pièce principale. Je dois lui ouvrir le ventre pour sortir l'enfant, sinon elle mourra. Je ne peux garantir la survie de l'enfant mais si je ne l'opère pas elle, elle ne passera probablement pas la nuit.
- Je... Mais elle allait bien jusqu'à aujourd'hui, tout allait bien, dit Martin, les yeux embués de larmes.
- Je n'ai pas le temps de me demander pourquoi ni comment. Elle doit être opérer. Maintenant. Oui ?
- Mais... on pourrait pas... ?
- Non. Maintenant. Et vous devez m'aider. Il faut la maintenir. Je ne peux pas la droguer, c'est trop tard. Ça va être... »

Barnabé fut interrompu par un hurlement terrible. Lui et Martin se précipitèrent. Un sang noir coulait, aspergeant les jambes repliées de la femme. Sa tête était basculée en arrière, ses yeux étaient révulsés et un liquide sombre maculait sa bouche tordue par la douleur en une grimace monstrueuse. Ses bras s’agitaient en tous sens alors que le reste de son corps restait étrangement immobile. Martin tenta de la maintenir alors que Barnabé tenta de faire…quoi ? Il ne savait pas, n’avait jamais rien vu de semblable. Il se tenait là, en face des jambes écartées, devant ce sang noir qui coulait, les oreilles vrillée par un hurlement qui n’avait rien de commun avec tout ce qu’il avait déjà entendu, même dans les mouroirs de Penn Street à New York. Soudain, alors qu’il était tétanisé, quelque chose vint. Une forme apparut, transperçant le liquide visqueux s’écoulant du sexe torturé. Une forme. De la chair sortant de la chair. Quelque chose à quoi se raccrocher, un semblant de normalité.

- « Poussez ! Poussez ! Ça vient ! Poussez ! Et vous, tenez-là bon sang ! Poussez ! Encore ! Là, ça vient ! Encore une fois ! Encore une fois ! Là, encore juste une fois ! Là, là… »

Et alors que Madame Cohan gémissait une dernière fois puis sombrait dans le mutisme en s’affaissant totalement, Barnabé tint quelque chose entre ses mains sanglantes. Un bébé. Un monstre. Une chose difforme. Le crâne bien trop grand, les yeux immenses, la bouche minuscule, le torse comme compressé, les membres trop longs. Sans mouvement. Mort-né.
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Re: Mort-né

Message par Aikau le bo »

Episode 17

Une horreur digne du muséum. Section tératologie. Barnabé se ressaisi rapidement en voyant le père Martin lever les yeux pour les poser sur ce que le médecin tenait. Barnabé coupa le cordon, pris un linge et enveloppa précipitamment le « bébé » avant de se retourner, de poser le cadavre emmaillotée sur la commode puis de s’occuper de la mère. Mal en point. Vivante mais à peine. Souffle court. Perdue beaucoup de sang. Etrange couleur d’hémoglobine. Problème de fer ? Pas le temps d’y penser. Maintenant que Madame Cohan était « calme », c’est-à-dire évanouie, Barnabé chassa Martin de la chambre, usant de son ton d’ « homme de science » pour éviter toute protestation ou question. Ce n’était pas nécessaire. Le visage de Martin affichait une incrédulité glacé. Il avait vu l’aberration. Apeuré, sonné, il sorti sans un regard pour sa femme.

Barnabé nettoya puis examina attentivement sa patiente. En plus des déchirures dues à l’accouchement difficile, des blessures inhabituelles étaient visibles au niveau du vagin. Viol ? Difficile à déterminer tant la « délivrance » avait été brutale. À la vue des dégâts subis, c’était déjà un miracle qu’elle ne continua pas de saigner à mort. Elle sera sans doute stérile, pensa le médecin. Heureusement qu’elle n’a pas vu ce qui est sorti de son ventre… Le docteur Losfeld, rassuré temporairement quant au pronostic vital de sa patiente, songea à prendre le nourrisson mort-né et à l’emporter hors de la pièce avant que Madame Cohan ne se réveille et réclame sa progéniture. Le père est menuisier, il pourra faire rapidement un cercueil…et le fermer définitivement. Barnabé se saisi de la chose emmaillotée pour l’emporter mais, pris d’une soudaine curiosité aussi scientifique que morbide, reposa le sujet, défit le linge et contempla le teras. Quelle aberration fascinante ! La sclérotique était presque entièrement noire et opaque, donnant aux yeux déjà disproportionnés un aspect vaguement reptilien. Le développement du fœtus avait été sérieusement perturbé. Des petits ongles noirs, déjà très durs, était présents sur les doigts. La peau était blafarde mais les lèvres contrastaient en étant purpurines et très sombres. Empoisonnement ? L’intérieur de la bouche était totalement noir mais, incroyable !, de fines dents pointues étaient déjà parfaitement formées. La langue semblait étrange et, alors que Barnabé tentait de la saisir,

la chose le mordit. Les bras minuscules s’agitèrent et s’agrippèrent. Les yeux noirs le fixèrent avec une férocité démente. Le monde bascula dans une horreur indicible. L’obscurité empli tout. Les murs se rapprochèrent alors que le monstre aspirait l’âme du médecin. Une Déchirure se fit. Une Faille apparût. Un abîme de ténèbres.
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Re: Mort-né

Message par Chimel »

rhoooooooo cooooool
En essayant continuellement on finit par réussir. Donc, plus ça rate, plus on a de chance que ça marche
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Re: Mort-né

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Chimel a écrit :rhoooooooo cooooool
:twisted: :twisted: :mrgreen:
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Re: Mort-né

Message par Aikau le bo »

Episode 18

Barnabé émit un cri étouffé et projeta le bébé contre le sol. Le crâne mou s’ouvrît, répandant une humeur sombre mêlée de matière cérébrale. Le médecin resta là, hébété, à regarder ce mort-né qu’il venait d’accoucher. Cette chair corrompue à ses pieds, avait-elle bougé ? Venait-il d’avoir une crise de délire ? Il était trempé d’une mauvaise sueur, ses mains tremblaient (mais ça ne voulait rien dire, elles le faisaient de plus en plus ces derniers temps) et son cœur battait à tout rompre. Venait-il de voir cette horreur tenter de le mordre ? Des marques, j’ai des marques sur la main, là, se dit-il en voyant effectivement des points rouge sur sa peau percée ! Des marques de dents ? Cela faisait mal, il n’avait donc pas rêvé, non ? Ou bien si ? Que faisait-il avant d’arriver ici ? Il n’en était plus sûr et il lui était impossible de se concentrer. La tête lui tournait et il respirait par saccade. Je dois me ressaisir, je dois me ressaisir, je dois me… la femme !

Madame Cohan le regardait. Fixement. Une expression affreuse sur le visage. Barnabé réagit sans réfléchir. Il saisit sa sacoche, imbiba un tissu d’une solution soporifique et le plaqua sur le nez de sa patiente. Elle ne se débâtit pas et continua de fixer le médecin jusqu’à ce qu’elle sombre dans l’inconscience. Le regard empli d’effroi de la femme avait transpercé Barnabé. Et maintenant, quoi ? Le médecin prit un linge, enveloppa le petit cadavre difforme à la boîte crânienne ouverte en essuyant du mieux qu’il pût l’humeur noire sur les lattes du sol. Il reposa la chose sur la commode puis prodigua à la femme les meilleures soins dont il était capable vu l’état de choc – et la soif ! la soif ! – qu’il s’auto-diagnostiqua. Malgré la violence de l’accouchement, l’horreur de la naissance et, pour finir, l’anesthésie brutale, Madame Cohan allait survivre. Sûrement. A moins qu’une infection ne s’en mêle, bien sûr… Le mari attendait dans la pièce principale. Barnabé sorti de la chambre et le rassura sur l’état de santé de sa femme. Puis il lui annonça l’évidence. Son fils était un « prématuré » mort-né. Une malformation avait empêché un accouchement normal, ce qui expliquait la délivrance difficile. Il faut un cercueil, dit-il. Rapidement. Le père acquiesça, puis acquiesça encore. Des gens simples, se dit Barnabé, pas préparé à ce que la Nature peut occasionnellement donner à voir, à « monstrer ». Et moi, songea-t-il, suis-je vraiment préparé à ça ?
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Re: Mort-né

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Episode 19

- « Qu’est-ce qu’on va faire de lui, docteur ?
- Et bien… l’enterrer Monsieur Cohan.
- Mais maintenant, qu’est-ce qu’on va faire ? »

Le médecin suivit le regard de l’homme accablé. Barnabé pouvait presque entendre ses pensées : Qu’est-ce que je vais faire avec cette chose ? Qu’est-ce que je vais dire à ma femme ? Qu’est-ce que je dois faire ? Je ne veux pas le garder à l’intérieur. Je ne veux le laisser dehors à la merci des bêtes. Je ne suis pas responsable de Ça ! Qu’est-ce que je dois faire ? Que vont dire les gens quand ils sauront que ma femme a enfanté Ça ?

- « Je vais le prendre avec moi, répondit le médecin à ces questions silencieuses. Vous fabriquez le cercueil et me l’amenez dès qu’il est terminé. J’irai chez le croque-mort dans l’après-midi. Il vous dira comment procéder pour l’enterrement. »
- M…merci docteur.
- Remerciez-moi en me payant, dit-il en lui tournant le dos. »

Barnabé allait franchir le seuil de la misérable demeure emportant cette chair morte dans les draps qui étaient devenus un linceul et voulu ajouter un mot de réconfort avant de se raviser et de sortir dans le froid glacial sans un regard en arrière.

Gerald Sixt, le croque-mort de la ville, se montra professionnel mais tout de même répugné par l’être difforme qu’il emporta avec lui. Monsieur Cohan avait bien travaillé – probablement toute la nuit – et avait confectionné un petit cercueil simple et solide. Sixt ne posa aucune question, ni sur la difformité du nouveau-né ni sur son crâne fendu, mais laissa Barnabé poser l’être dans le cercueil et l’envelopper dans un linceul. Je suis sûr qu’il ne fera rien d’autre mais empochera tout de même l’argent, songea le médecin… Il repassa en début de soirée chez les Cohan vérifier l’état de santé de la femme et se faire payer lui-même par l’homme. Aucun ne prononça plus de quelques mots, encore plongé dans la stupeur des évènements de la dernière nuit. La chambre avait été nettoyée mais portait encore des stigmates noirâtres au sol. Madame Cohan était très affaiblie mais elle n’avait plus eu de saignements. Barnabé évita de l’ausculter trop profondément mais se promis de revenir dans quelques jours. Monsieur Cohan paya son dû sans rechigner en évitant le regard du médecin. Il a honte, songea Barnabé. Honte d’avoir créé un monstre. Idiot pensa-t-il, mais terriblement humain.
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